Bretagne: le long combat judiciaire de salariés de l'agroalimentaire malades des pesticides

17 juillet 2015 à 10h09 par Rédaction Alouette

ALOUETTE

Malades puis licenci�s apr�s avoir �t� intoxiqu�s par des pesticides dont ils avaient d�nonc� l'utilisation sur des c�r�ales, quatre anciens salari�s de la puissante coop�rative bretonne Triskalia sont engag�s depuis cinq ans dans un marathon judiciaire qui a r�v�l� une utilisation contestable de produits chimiques dans l'agroalimentaire.

Leur histoire remonte � 2008. Le site o� ils travaillent, � Plouisy (C�tes d'Armor), est alors en pleine restructuration pour donner naissance � Triskalia. Laurent Guillou et St�phane Rouxel, employ�s par la soci�t� de nutrition animale Nutr�a, alertent leur hi�rarchie: 18.000 tonnes de c�r�ales stock�es dans un silo avant de servir � la fabrication d'aliments pour b�tail "commencent � pourrir".

Thierry Thomas, un �leveur voisin, se souvient que "le tas, haut d'une vingtaine de m�tres (...) grouillait de charan�ons".

Une infestation qui s'explique, pour Laurent Guillou, par des soucis d'ordre �conomique: "On avait utilis� beaucoup de gaz pour s�cher les c�r�ales apr�s un �t� pourri. Le responsable du site a voulu se rattraper en coupant les ventilateurs" habituellement utilis�s pour refroidir les grains et �viter la prolif�ration d'insectes.

Pour tenter de les rendre utilisables, un pesticide interdit d'usage, le Nuvan Total, est inject� fin 2009 dans les c�r�ales, qui seront manipul�es sans protection par Laurent Guillou et St�phane Rouxel, expliquent-ils.

- "Cracher du sang" -

Comme le chauffeur Claude Le Guyader et l'employ� Pascal Brigant, ils contractent rapidement les sympt�mes (saignements, vomissements, maux de t�te, fatigue intense...) du syndrome "d'hypersensibilit� chimique multiple", maladie chronique et invalidante mais qui n'est pas reconnue en France.

Pendant ce temps, "le stock de c�r�ales a �t� livr� comme pr�vu aux �leveurs de porcs et de volailles", des tests n'ayant pas r�v�l� la pr�sence de r�sidus de Nuvan Total, rel�ve un rapport du S�nat. Toutefois, un rapport du CHSCT dat� du 22 mai 2009, rel�ve des "incidents en �levage de porcs". Une source proche du dossier assure aussi que les centaines de pigeons qui colonisaient le site ont disparu "pendant un an".

Apr�s des arr�ts de travail, les salari�s reprennent le chemin de l'usine. Mais en 2010, des c�r�ales sont trait�es avec un pesticide surdos�. Les sympt�mes r�apparaissent: "En 2010, �a a �t� le cauchemar", t�moigne St�phane Rouxel, "j'ai pris peur � cracher du sang comme �a".

Les travailleurs intoxiqu�s, soutenus par le syndicat SUD Solidaires, en appellent alors � la justice.

Si le tribunal des affaires sociales (TASS) de Saint-Brieuc a reconnu en septembre 2014 la "faute inexcusable" de Nutr�a pour l'intoxication en 2010 de MM. Rouxel et Guillou, ces derniers, d�clar�s inaptes au travail puis cong�di�s, contestent aussi leur licenciement.

Surtout, les quatre ex-salari�s ont de nouveau port� plainte pour "mise en danger d'autrui" le 12 juin aupr�s du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, qui avait class� sans suite une premi�re plainte similaire d�pos�e en 2010. Cette fois, le tribunal a jug� la plainte recevable.

"Les consommateurs ont le droit de savoir" ce qu'ils ont ing�r� en consommant des animaux ayant mang� les c�r�ales trait�es, "c'est pour �a qu'on fait autant de bruit", explique St�phane Rouxel.

"Il y a eu r�ellement des faits tr�s graves, on a du mal � comprendre comment une entreprise condamn�e pour +faute inexcusable+ puisse �tre exon�r�e de toute faute p�nale", estime Serge Le Qu�au, responsable local de SUD-Solidaires.

- "Reviens l�-dessus" -

Depuis pr�s d'un an, le combat de ces anciens salari�s se double de celui d'Edith Le Goffic, qui demande au TASS de Saint-Brieuc de reconna�tre en accident du travail le suicide de son �poux, chauffeur chez Nutr�a-Triskalia � Plouisy.

Le 21 mars 2014, Gw�na�l Le Goffic, 41 ans, a �t� retrouv� pendu � son camion. Arr�t� quelques mois pour d�pression, il avait �t�, en janvier 2014, victime d'un accident du travail en d�chargeant un aliment m�dicamenteux.

"Une poussi�re dans l'oeil due � un courant d'air", note la direction sur la d�claration d'accident du travail, assurant se fonder sur les affirmations de M. Le Goffic. "Quand il a re�u l'aliment sur le visage, �a l'a br�l�, son champ de vision s'est r�tr�ci", r�plique sa veuve, assurant qu'il avait �t� "touch� physiquement" lors des traitements des c�r�ales en 2009 et 2010.

Le jour de son accident, il avait ramen� l'�tiquette de l'aliment "en me disant: +Celle-l�, faut qu'on la garde+", raconte-t-elle. A la gendarmerie, lorsqu'elle r�cup�re le mot d'adieu de son mari, �crit sur une �tiquette similaire, l'accident lui revient � l'esprit. "Pour moi, il m'a laiss� un message: +Reviens l�-dessus+".

Nicolas Douillard, DRH de Nutr�a, d�ment tout lien entre le suicide de M. Le Goffic et son travail, s'appuyant sur un rapport en ce sens de l'inspection du travail.

C�t� politique, le conseiller r�gional EELV Ren� Louail a indiqu� que son parti demanderait "une commission d'enqu�te nationale et europ�enne" sur Triskalia, qui compte 4.800 salari�s, 18.000 agriculteurs adh�rents, pour 2,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2013.

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(AFP)