Une entreprise bretonne va produire le premier cargo à voiles du monde

Publié : 5h54 par
Adrien Michaud - Journaliste

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Ce vendredi 19 décembre en Turquie, l’entreprise lorientaise Windcoop va lancer le chantier du porte-conteneurs du futur : un cargo à "voiles" de 95 mètres. Il sera capable de transporter 220 conteneurs, tout en émettant trois fois moins d’émissions de CO2 qu’un navire de même taille.

Ce cargo à « voiles » de 95 mètres sera capable de transporter 220 conteneurs.
Ce cargo à « voiles » de 95 mètres sera capable de transporter 220 conteneurs.
Crédit : Windcoop

C’est une petite révolution dans le monde du transport maritime. Ce vendredi 19 décembre, en Turquie, la coopérative lorientaise Windcoop va lancer le chantier de son porte-conteneurs du futur. Un cargo à "voiles" de 95 mètres de long, capable de transporter 220 conteneurs, une première mondiale.

Ce bateau va coûter 30 millions d’euros et devrait être mis en service d’ici l’été 2027. Il réalisera des liaisons entre le port de Marseille et Madagascar, tout en divisant par trois les émissions de CO2 par rapport à un cargo équivalent. Une initiative de Nils Joyeux, co-créateur et PDG de Windcoop. Rencontre.

 

Quelle est la genèse de ce projet ?

Nils Joyeux : Ça fait dix ans maintenant que je travaille sur le sujet. À la base, je suis officier de marine marchande, j'ai travaillé par le passé sur différents cargos plus classiques, comme des porte-conteneurs, des pétroliers ou même sur l'offshore pétrolier en Afrique. Et donc, dans le cadre de mes études, et de mon mémoire de fin d'études, avec un de mes associés actuels d’ailleurs, on avait étudié le fait de décarboner la propulsion des navires de demain. C'était en 2014, et à ce moment-là, on avait fait une analyse assez agnostique. C'est-à-dire qu'on n'avait pas de préférence particulière pour la voile, mais on avait fait une analyse de ce qu'on pouvait faire en mettant des panneaux solaires sur le pont du bateau, en recourant à l'hydrogène, en embarquant des batteries et bien sûr en mettant des voiles.

Le résultat pour nous était sans appel, c'est qu'il n'y avait pas vraiment de solution pour arriver à réduire le bilan carbone de la propulsion des bateaux de demain. C'est comme ça qu'on s'est lancé. C'est né aussi de la rencontre avec un architecte qui était en train de développer à ce moment-là une nouvelle idée de voile un peu révolutionnaire, avec des ailes rigides articulées. Donc, le projet de fin d'études est devenu un projet d'entreprise. C'est comme ça qu'on s'est lancé. On a abandonné l'utilisation du vent et des voiles pendant 100 ans, mais je suis convaincu que demain, les navires commerciaux seront équipés de voiles.

 

Nils Joyeux, co-créateur et PDG de Windcoop, planche sur cette idée de cargo à voiles depuis 2014.
Nils Joyeux, co-créateur et PDG de Windcoop, planche sur cette idée de cargo à voiles depuis 2014.
Crédit : Windcoop

 

Et donc après 10 ans de recherches, vous vous lancez dans l’aventure de produire le premier cargo à voile ?

Oui et dans le monde du transport maritime, c'est un petit porte-conteneurs, avec ses 95 mètres, mais ça reste quand même un assez gros bateau et un assez gros défi aussi parce qu'effectivement, c'est le tout premier porte-conteneurs équipé de voiles qui va être construit. Globalement, aujourd'hui, 100% des produits manufacturés dans le monde sont transportés en conteneurs. C'est pour ça qu'on fait ce choix-là. Mais c'est un choix qui n'est pas simple, dans le sens où la manutention des conteneurs, c'est-à-dire leur chargement et leur déchargement, n'est pas chose facile, lié au fait qu'on ait des voiles sur le bateau. Après, c'est sur ce sujet qu'on a beaucoup travaillé pour que le bateau soit à la fois compatible avec l'utilisation des voiles et le chargement déchargement des conteneurs.

 

Ce bateau va produire trois fois moins de CO2, c’était une évidence pour vous ?

C'est sûr qu'on fait ça avec une motivation militante, dans le sens où on a l'impression d'avoir découvert que oui, on peut utiliser le vent et oui, on ne l’a pas encore assez compris. En tout cas, l'industrie du transport maritime ne l'a pas encore assez saisi. Maintenant, je pense qu'on fait partie des leaders dans le monde sur le sujet, et donc maintenant, on se sent un peu responsable de porter l'idée de remettre des voiles sur les bateaux et de démocratiser son utilisation, d'avoir plus de bateaux possibles. Là-dedans, on peut dire qu’on a presque une part de lobbying et de communication sur ce qu'on fait pour essayer d'inciter d'autres compagnies maritimes à faire la même chose.

 

Ce cargo reliera le port de Marseille à Madagascar.
Ce cargo reliera le port de Marseille à Madagascar. Crédit : Windcoop

 

La propulsion de ce cargo se fera grâce à des voiles spéciales, construites en France à Saint-Nazaire : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le sujet ?

Le bateau, sera équipé de trois voiles de 35 mètres chacune. Et en fait, on ne dit pas des voiles, on dit des ailes parce que, en réalité, ça ressemble beaucoup plus à une grosse aile d'avion posée sur le pont du bateau plutôt qu'un mât et un grand bout de tissu. Donc ces ailes, elles sont plus performantes que les voiles telles qu'on les connaît sur notre bateau avec lequel on fait un tour le week-end. Elles seront en composite, en carbone et en acier, automatisées, on pourra les plier en deux, et surtout elles seront compatibles avec l'utilisation de grue pour charger et décharger les conteneurs du cargo.

L'impératif, pour nous, c'est qu'elles soient automatisées, c'est-à-dire qu'elles se règlent toutes seules et en fonction de la force et de l'incidence du vent, de manière à tirer le meilleur parti en permanence de cette énergie propre. C'est ça aussi qui a tué l'utilisation de la voile, il y a une centaine d'années, quand on a abandonné les voiles pour l'utilisation du moteur, il fallait énormément d'équipage pour manœuvrer les bateaux de l'époque. Aujourd'hui, si on veut revenir à l'utilisation du vent, il faut avoir des systèmes automatisés qui ne nécessitent pas d'avoir dix ou quinze personnes de plus sur le bateau.