Christian Jouny : "On va passer l'Été 2021 à peu près dans les mêmes conditions que l'Été 2020"

12 juillet 2021 à 8h20 par Alexandrine Douet

Ce sont les derniers établissements de loisirs à rouvrir leurs portes. Après 16 mois de fermeture, les discothèques peuvent de nouveau accueillir le public à partir de ce vendredi.

Foule Discothèque

En réalité, 7 boîtes de nuit sur 10 resteront portes closes, en raison notamment des difficultés à mettre en oeuvre les mesures imposées par le gouvernement (jauge à 75% en intérieur et pass sanitaire) ou encore face au manque de personnel. "Si on avait pris en compte les arguments que nous avons développé depuis des mois, je pense que nous aurions une reprise beaucoup plus soutenue" estime Christian Jouny. Délégué général du Syndicat National des discothèques et lieux de loisirs, il a été choisi pour défendre les intérêts de la profession auprès de l'État. Lui-même patron de discothèques, (La Villa La Grange et Le Garden à Guérande ainsi que Le Niagara à Missillac) il va expérimenter la réouverture de deux de ses établissements. Entretien.

Les discothèques, fermées depuis 16 mois, vont de nouveau pouvoir accueillir le public à partir de vendredi. Sur le papier, on imagine le soulagement des professionnels. Dans les faits, est-ce que c’est aussi simple ?

Non, rien n’est simple. Tout d’abord, la fermeture représente aujourd’hui 16 mois. 16 mois sans activité, 16 mois en ayant tout perdu, voilà à peu près la situation des exploitants de discothèques. Le retour à l’activité sera tributaire, en complément de tout ce qu’on peut connaître, d’un protocole sanitaire extrêmement complexe et drastique. Ce qui n’est pas le cas malheureusement de toute la profession et ça pose un problème majeur qui explique d’ailleurs que sept discothèques sur dix vont rester fermées durant cet été 2021. On voit bien que l’ensemble des mesures sanitaires, qui sont imposées aux discothèques, les privent pour la plupart de l’accès au seuil de rentabilité, c’est ça le problème majeur en réalité. Et ce qui m’inquiète lourdement, c’est que je constate qu’aucune volonté gouvernementale n’existe pour tenter de normaliser cette idée de pass sanitaire à l’égard de la clientèle du même métier. Je m’explique, qu’il s’agisse des bars ou des restaurants à ambiance musicale, un protocole allégé va leur être imposé, en revanche pour les discothèques, nous avons l’obligation de ce pass, tests PCR ou antigéniques, mais rien d’autre. La situation des discothèques est particulièrement délicate et c’est ce qui a conduit sept exploitants sur dix à renoncer à la réouverture pourtant tant attendue.

Sept établissements sur dix, ça semble énorme…

C’est énorme ! Mais on a, je crois, voulu banaliser les arguments que nous avions toujours présentés au Gouvernement. J’avais une réunion encore hier soir avec le cabinet d’Alain Griset et je rappelais que je me suis évertué à dire et à répéter qu’une ouverture coûte que coûte n’a pas de sens. En revanche, les conditions dans lesquelles nous allons rouvrir, là sont pertinentes. Et c’est pour cela que, depuis des mois, je cherche à obtenir un positionnement du ministère des Solidarités et de la Santé qui a toujours voulu éviter les contacts avec les exploitants de discothèques. C’est quand même un comble ! C’est le seul interlocuteur qui, finalement, exige un certain nombre de dispositions complexes mais avec lequel on ne peut pas discuter. Nous n’avons pas d’échanges avec le ministère des Solidarités et de la Santé. C’est invraisemblable !

Vous, justement, que proposez-vous ?

On a deux sujets. Le premier, c’est de savoir s’il y a une politique sanitaire en France ou pas. S’il y en a deux, parce que c’est le cas aujourd’hui, alors il faut nous expliquer pourquoi. Les discothèques sont soumises à ces règles extrêmement difficiles à appliquer. Mais, je constate que dans le même métier, vous avez par exemple, les bars, les restaurants à ambiance musicales, qui accueillent pratiquement la même clientèle que nous, et qui vont avoir beaucoup moins de contraintes. Ce qui signifie que lorsqu’un groupe va se présenter devant l’entrée d’une discothèque, si l’un d’entre eux ne satisfait pas la règle du protocole sanitaire, et bien, que croyez-vous qu’il va se passer ? Je vous l’indique tout de suite, ils iront vers les bars et vers les restaurants à ambiance musicale, qui eux, fourniront une prestation pratiquement identique sans avoir les contraintes que nous avons, nous, à la porte de nos établissements. Voilà la difficulté majeure ! Et c’est là-dessus que je cherche à sensibiliser ministère des Solidarités et de la Santé qui pour le moment fait la sourde oreille.

Vous souhaitez que le pass sanitaire soit aussi imposé aux bars et aux restaurants à ambiance musicale ?

C’est ce que j’ai dit au président de la République, le 21 juin dernier, lorsqu’il nous a reçu. Je lui ai dit : « écoutez président, on ne peut pas lutter contre le pass sanitaire puisque c’est une mesure d’ordre général et sanitaire de précaution ». Qu’on peut comprendre ! Mais, si le pass sanitaire a un sens, alors on l’applique à tous les acteurs d’un même métier. Et c’est depuis le 21 juin dernier qu’un certain nombre de réflexions se sont engagées, et malheureusement, aucune conclusion concrète n’est apparue jusqu’à maintenant. Et je crains qu’on va passer l’été 2021, à peu près, dans les mêmes conditions que l’été 2020. Et c’est ce que je regrette, parce que malheureusement, au moment où nous avons, semble-t-il, une recrudescence de la pandémie, c’est paradoxal de ne pas appliquer le même processus de précautions sanitaires à l’ensemble de la jeunesse qui va fréquenter des lieux de fête et de loisirs.

Les masques, eux, ne seront pas obligatoires à l’intérieur des discothèques ?

Non, la contrepartie du pass sanitaire, c’est qu’on retrouve une forme de la vie d’avant. En fait, le vrai problème posé aux discothèques, si on devait le cibler, il est dans ce que je viens d’évoquer. Aujourd’hui, le pass sanitaire, si c’est un passage obligé, et bien nous l’acceptons. Certes, c’est compliqué à mettre en œuvre, ça nous ennuie parce que, encore une fois, le seuil de rentabilité va être difficile à obtenir. Mais, s’il y avait une cohérence, si on l’appliquait à l’ensemble des acteurs, alors là oui, nous l’accepterions volontiers.

Non seulement, il y a ces conditions et ces restrictions qui sont compliquées à mettre en place, et en plus, beaucoup d’établissements en difficultés après tous ces mois de fermeture, d’autres qui ont carrément mis la clé sous la porte. Vous confirmez ?

Oui, absolument. On a recensé, malheureusement, 152 liquidations depuis le 13 mars 2020. Cette crise a, évidemment, généré de très graves séquelles. Nous avons également répertorié 243 établissements en grosses difficultés. Ce qui signifie que pratiquement 25% de la profession, aujourd’hui, est dans une situation extrêmement compliquée. Je pense que le Gouvernement doit absolument prendre conscience de cette situation et apporter les réponses économiques qui sont parfaitement justifiées. Par ailleurs, je constate qu’on va un peu vite en besogne puisqu’on parle déjà de la suppression des aides sans qu’on ait pu reprendre l’activité. Je constate que dans la restauration, le Gouvernement a su faire un plan de relance, accompagner les exploitants de restaurants, et pour les discothèques, en tout cas pour le moment, les choses me paraissent un peu plus complexes.

Comment est-ce que vous expliquez ça ?

Je crois que le rapport de force, malheureusement, n’a pas plaidé en notre faveur. Au 13 mars 2020, les discothèques représentaient seulement 1 600 établissements en France. Alors que, par comparaison, la restauration c’est à peu près 220 000 restaurants. Le rapport de force est évidemment différent. Je le regrette mais c’est comme ça. Nous sommes obligés d’en tenir compte et c’est vrai que ça complique un peu les choses. Quand vous avez 220 000 restaurateurs qui défilent dans les rues, c’est sûr que les choses s’observent probablement avec un regard différent.

Les discussions avec le Gouvernement ont-elles été un peu houleuses ces derniers mois ?

Je dirais deux choses. La première, c’est que le ministre Alain Griset est probablement le seul au sein de ce Gouvernement qui a pris, je pense, la mesure de la situation des discothèques de France. Il a été probablement le meilleur ambassadeur, avec nos organisations professionnelles, pour la cause des discothèques, notamment auprès du président de la République. Je me réjouis d’ailleurs que le président de la République ait saisi ce dossier à bras-le-corps récemment. Parce que je crains que si ça n’avait pas été le cas, nous aurions, une nouvelle fois, passé l’été 2021 dans d’autres conditions. Même si, encore une fois, sept discothèques sur dix resteront fermées. Et ça, c’est tout simplement parce qu’on ne veut pas nous écouter. Si on nous écoutait, si on avait pris en compte les arguments que nous avons développé depuis des mois, je pense que nous aurions une reprise beaucoup plus soutenue. Donc, pour répondre à votre question, oui c’est compliqué. Parce que le seul interlocuteur qui, aujourd’hui, est en charge de ce dossier s’appelle Alain Griset, or, le vrai décideur en matière sanitaire s’appelle Olivier Véran. Au sein de ce Gouvernement, on a un problème. Parce que le ministre des Solidarités et de la Santé est dans une tour d’ivoire, impose sa façon de gérer cette crise, et malheureusement, n’accepte pas l’idée qu’on puisse échanger avec lui. C’est un vrai problème et notre profession en assume malheureusement les dures conséquences.

Quelle est votre situation personnelle ? Comment ça va se passer pour vous ?

Moi, je vais faire une tentative sur deux week-ends et je n’ouvre que deux établissements sur trois. Parce que, vous imaginez bien qu’entre le 21 juin et le 9 juillet, ça laisse peu de temps pour préparer une saison et ça laisse peu de temps pour pratiquer du recrutement. Parce que nous avons besoin de personnel, et malheureusement, quand on vous prévient fin juin, vous imaginez bien que le personnel qui travaille habituellement avec nous est déjà parti en saison. Certains d’entre eux se sont reconverti dans d’autres métiers, bref, nous sommes aussi confrontés à cette dure réalité où il est très difficile de trouver de la main d’œuvre en l’espace de quelques jours. Ensuite, il convient d’ajouter que l’attractivité d’un lieu, ce qui fait sa richesse pendant une saison, ça se travaille en amont. Par exemple, les plateaux d’artistes, les DJs internationaux, toutes ces activités-là, tous ces thèmes de soirées, ça se prépare. En règle générale, la période de janvier à avril, c’est la période au cours de laquelle on règle toutes ces programmations-là. Donc cette année, nous ne pourrons pas être en mesure de travailler l’attractivité de nos lieux et c’est ce qui, probablement, va conduire à une baisse de fréquentation considérable. Voilà pourquoi, je prends quelques précautions et je ferai un essai durant deux week-ends, j’en tirerai les conclusions, et si les choses fonctionnent correctement, je poursuivrai mon activité. Mais je n’en suis pas certain pour le moment. Je vais donc ouvrir Villa La Grange à l’entrée de La Baule et également Le Garden parce qu’il a un espace extérieur assez vaste. En revanche, le gros établissement Le Niagara à Missillac, qui est un établissement de très forte capacité, paradoxalement, va rester fermé jusqu’au mois de septembre.

En plus, il y a une autre problématique, c’est-à-dire que depuis 16 mois les Français ont pris de nouvelles habitudes nocturnes avec notamment des soirées clandestines. Craignez-vous que les Français boudent un peu les discothèques ?

Oui, c’est probable. Je pense que la jeunesse s’est organisée et elle a bien raison d’ailleurs. Quand on a 20 ans, on a envie de faire la fête. Et cette soif de fête et de sorties, je crois qu’elle existe encore. Maintenant, notre métier s’est toujours remis en question, durant des décennies, j’ai connu ce genre de situation. De toute façon, la clientèle se conserve à peu près trois années. Donc, vous êtes obligé de travailler systématiquement l’attractivité de vos lieux. Je pense que la jeunesse a comblé ce vide, ce déficit de lieux festifs encadrés et sécurisés. Malheureusement, au profit parfois de soirées non-encadrées où il se passait un peu n’importe quoi, et c’est bien dommage, mais bon, la discothèque n’est pas morte, j’y crois encore plus que jamais. Je pense que ces lieux-là, et d’ailleurs la crise l’a démontré, je pense que la discothèque est aujourd’hui le lien social le plus important avec la jeunesse. Et ça, la crise a permis de le souligner.

Finalement, est-ce que les discothèques n’auraient pas pu rouvrir un peu plus tôt si les discussions avaient été plus avancées avec le Gouvernement ?

Je ne peux pas dire que nous n’avons pas parlé avec le Gouvernement. Parce qu’Alain Griset a, je crois, mis tout ce qu’il savait faire en faveur du secteur de la discothèque. En revanche, il était bien seul et trop seul. Si, effectivement, nous avions pu discuter correctement avec le ministre des Solidarités et la Santé, je pense que nous aurions trouvé des solutions plus pérennes et probablement beaucoup plus tôt. Mais là encore, je crains et je pense qu’Olivier Véran ne souhaitait pas rouvrir les discothèques, y compris d’ailleurs cet été. Et ça je l’ai mesuré dans la manière dont le ministre des Solidarités et de la Santé s’est comporté à l’égard de notre métier.

Il ne voulait pas en entendre parler, selon vous ?

Ces propos sont les miens, je les assume parfaitement. J’ai eu deux contacts avec le cabinet d’Olivier Véran, j’ai eu l’occasion de discuter avec lui le 15 décembre dernier, et là j’ai compris que rien n’était possible. Parce qu’il était question de neutraliser les pistes de danse par exemple, il était question de mettre en place une distanciation physique de deux mètres en circulaire, autant dire qu’on divisait par cinq les capacités d’accueil des discothèques. Donc, à l’époque ça n’était pas envisageable de rouvrir nos établissements. Ensuite, le 17 mai dernier, j’ai eu un contact avec la directrice adjointe d’Olivier Véran, qui elle pour le coup, ne m’a pas répondu aux questions pertinentes qui étaient celles de connaître les conditions dans lesquelles nous pouvions rouvrir. Et là je me suis dit, ça n’est pas normal et quand c’est flou il y a un bien un loup, et le loup s’appelle, évidemment, le pass sanitaire. C’est-à-dire qu’on nous a caché cette dure réalité jusqu’au dernier moment et il a fallu qu’on se retrouve chez le président de la République pour qu’on puisse véritablement discuter de ce sujet. C’est quand même un peu fort.

 

(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)