Philippe Grosvalet : "J’invite tous les électeurs à se déplacer pour ces scrutins qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens."

17 juin 2021 à 11h45 par Alexandrine DOUET

Une page se tourne en Loire-Atlantique. Le président du conseil départemental, Philippe Grosvalet s'apprête à quitter son poste qu'il occupe depuis 2011. Entretien.

ALOUETTE
Crédit : Conseil Départemental de Loire-Atlantique - Christiane Blanchard

Il l'avait annoncé en avril dernier. Après 10 années passées à la tête du département, Philippe Grosvalet a décidé de ne pas se représenter et a même choisi de se retirer de la vie politique. Âgé de 63 ans, l'élu natif de Saint-Nazaire assure toutefois qu'il continuera son engagement d'une autre façon, notamment en continuant de sensibiliser le grand public et les États au drame des migrants en Méditerranée. 

Tout d’abord dans quel état d’esprit êtes-vous à l’approche du scrutin, tandis que la fin de votre mandat approche? 

Je suis dans un état d’esprit serein. À la fois par rapport aux choix personnel et politique que j’ai fait en ne me représentant pas, mais aussi à l’amorce de ces élections. Même si évidemment je crois que nous pouvons tous nous inquiéter de ce qui est annoncé en matière de participation de nos concitoyens, dont on dit qu’ils s’abstiendraient en masse. J’invite tous les électeurs à se déplacer pour ces scrutins locaux, départementaux et régionaux, qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens. Donc on ne peut que les appeler à voter ce dimanche, d’autant plus que de la pluie est annoncée.

Effectivement, les élections départementales semblent ne pas passionner les foules...

Hélas, ce n’est pas tout à fait nouveau. Il y a un certain nombre d’explications, de scrutin en scrutin. Il semble que nos concitoyens s’éloignent un peu de la chose publique. Je le déplore évidemment. Les décisions que nous prenons dans nos collectivités locales, que ce soit dans les communes ou dans les départements ou les régions sont d’une gde importance. Elles sont proches des problèmes que rencontrent nos concitoyens, tout particulièrement dans nos départements. Nous avons en charge des politiques publiques qui touchent notamment aux personnes les plus fragiles, les personnes âgées, en perte d’autonomie, les personnes en situation de handicap.

Je pense aussi à l’enfance, aux jeunes enfants dont nous avons la charge dans le cadre de la protection de l’enfance. Je pense évidemment aux questions d’insertion, aux personnes trop éloignées de l’emploi mais aussi des politiques publiques qui concernent les collèges ou encore les routes que nous empruntons toutes et tous chaque jour et qui représentent quasiment 90% de nos déplacements. Ce sont des problèmes quotidiens. Nos concitoyens devraient retrouver le chemin des urnes pour se préoccuper de ces questions essentielles.

J’irai même un peu plus loin en disant qu’on parle plus des élections régionales. On le constate dans de nombreux médias. Comment est-ce que cela s’explique ?

Peut-être qu’elles préoccupent moins les médias même si je pense que les médias locaux, ont une bonne appréhension de ces élections. On voit que la presse locale ou que des radios comme la vôtre parlent des élections départementales. Peut-être que les médias nationaux parlent plus des régionales, en anticipant les élections présidentielles l’an prochain.

Vous aviez annoncé en avril dernier votre décision de ne pas vous représenter. Est-ce que cela a été une décision facile à prendre ?

Ni facile ni difficile. C’est une décision que j’ai prise depuis longtemps. Sur le principe d’abord du non-cumul des mandats dans le tps. J’ai toujours prôné le fait qu’il fallait du renouvellement. Je me l’applique évidemment à moi-même. Sur le fait que je suis âgé de 63 ans cette année. Les mandats sont longs, 6 années. C’est donc aussi un choix personnel. Et puis je pense que véritablement la politique a besoin des générations nouvelles, qu’il faut en permanence régénérer le corps politique, pour justement ne pas laisser dire que ce sont toujours les mêmes qu’on voit aux même postes. Ce renouvellement aura lieu au sein de notre équipe, en tout cas au sein de la majorité que je conduis encore jusqu’au 30 juin en Loire-Atlantique, et que mon ami Michel Ménard aura l’honneur de conduire, je l’espère à partir du 1er juillet.

Pour mener la liste de la gauche, vous avez effectivement choisi Michel Ménard (NDLR : l’actuel président du groupe majoritaire « Loire-Atlantique à Gauche » à l’assemblée départementale) C’était un choix qui s’imposait ?

NOUS avons choisi, puisque c’est un choix collectif, à la fois de l’ensemble de la majorité sortante et de l’ensemble des candidates et des candidats. Une gauche très large, ouverte, solidaire et écologiste, qui accepte de prendre les responsabilités, qui est aux commandes du département de Loire-Atlantique et qui a fait de belles et grandes choses depuis 2004. Nous espérons que cela va continuer parce que ce département a besoin d’une majorité qui se préoccupe à la fois de lutter contre les fractures sociales. Je rappelle que dans notre pays, 10 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Il est important aussi de se préoccuper de la question écologique, ce n’est pas une question de mode, c’est une urgence absolue. Dans un département de la Loire-Atlantique qui gagne chaque année environ 15 000 habitants supplémentaires, où il y a encore des espaces naturels sensibles, une agriculture à préserver et évidemment toutes les questions nouvelles de santé et d’alimentation, je pense que nous avons besoin de cette majorité qui prenne en compte le défi social et le défi écologique et le défi démocratique, de faire de nouveau adhérer nos concitoyens à la chose publique.

Vous vous apprêtez à quitter la vie politique, et pour autant on vous sent toujours très impliqué en particulier dans la campagne de ces élections.

Bien sûr. Quand on est engagé on l’est je crois dès le plus jeune âge et jusqu’à la fin de sa vie. Et ce n’est pas parce que j’ai décidé de mettre un terme non pas à une carrière politique mais à un engagement dans mon parti politique et à la tête d’une collectivité locale, que pour autant je me désintéresse de la vie en général. Je dis souvent que tout est politique et je suis un passionné de la chose publique. On peut être engagé dans une association, un syndicat, un parti politique. On peut être engagé dans son quartier, sa ville. Bref, tous les beaux engagements que j’ai constatés au cours de ma carrière.

On dit la droite favorite ? La majorité ne tient en effet qu’à un seul canton. Le scrutin s’annonce très serré.

Non je ne crois pas. Au contraire. Peut être est-ce l’arbre qui cache la forêt et que les commentateurs ayant constaté que notre majorité n’avait gagné que d’un seul siège aux élections de 2015, cela la rendrait fragile. Au contraire elle a été plus que soudée, rassemblée. Il n’y a eu aucune faille dans cette majorité. Elle est conquérante. Je rappelle que les municipales en 2020 ont apporté beaucoup de confortation pour la gauche dans les plus grandes villes de Loire-Atlantique mais également dans les conquêtes sur des territoires ruraux. Ce qui ns permet d’avoir des candidats très représentatifs de cet élan de solidarité, élan écologique qui aujourd’hui anime nos concitoyens. Je crois qu’au contraire nous aurons une large majorité à l’issue de ce scrutin.

Quels sont les dossiers qui vous ont marqué durant votre mandat ? On pense au dossier Notre Dame des Landes notamment.

Évidemment, Notre-Dame des landes était un sujet important qui a été commenté sur toutes les télévisions du monde. Nous étions au cœur de l’actualité et je l’étais moi-même ayant occupé à la fin de ce dossier le poste de président du syndicat mixte aéroportuaire. Mais je rappelle que c’était une décision d’Etat. Je crois au contraire que l’action du département est plus sensible et que les principaux dossiers sont des dossiers dont on ne parle jamais, qui touchent à l’humain. Je pense à ce petit garçon pour lequel j’ai dû prendre une décision difficile, aux dossiers que nous voyons tous les jours de personnes en difficulté que nous accompagnons. Ce sont plutôt ces dossiers sensibles qui marquent la vie d’un élu et pas seulement ceux qui ont plus d’échos médiatiques.

La question du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne a été particulièrement présente au cours de votre mandat. Rappelez-nous votre position sur cette question ?

Cette question est très présente ici en Loire-Atlantique. Elle l’était déjà bien avant mon mandat. Je pense qu’elle continuera de l’être tant que cette revendication n’aura pas fait l’objet d’un débat démocratique. Je pense que le moment est venu, que cette question soit posée à nos concitoyens, mais qu’elle le soit de façon officielle et décisionnelle. C’est-à-dire que si on demande l’avis à nos concitoyens par référendum, que l’orientation donnée par les habitants puisse être mise en œuvre, à l’inverse de ce qui a été fait pour l’aéroport de Notre-Dame des Landes et cette fameuse consultation.

Vous demandez un référendum qui irait au-delà des frontières de la Loire-Atlantique ?

Nous avons été la première collectivité à voter pour demander un référendum décisionnel. Il appartiendra ensuite aux autorités de bien déterminer son périmètre, de bien poser la question. Je pense que c’est une question qu’il convient maintenant de poser. Cette question concerne les habitants de Loire-Atlantique, mais bien au-delà. Je pense aux habitants des autres départements des Pays de la Loire.

Et votre point de vue personnel ? Rattacher la Loire-Atlantique à la Bretagne, cela vous semblerait cohérent ?

La Loire-Atlantique a tous les atouts nécessaires à son épanouissement. Nous avons un grand port maritime, le seul de l’Ouest, un aéroport international, une grande université, les plus belles industries au monde. Nous avons une agriculture diversifiée, nous avons des aménités extraordinaires, du tourisme, un littoral. Ce sont plutôt nos voisins qui peuvent avoir à bénéficier de ces aménités. Au fond, dans tous les cas de figure, la Loire-Atlantique se développera, qu'elle fasse partie des départements bretons ou des Pays de la Loire, puisque c’est autour de la Loire-Atlantique que se font les principaux développements. Cette question de réunification n’est ni un avantage, ni un inconvénient. Il y a ceux qui veulent un rattachement pour des raisons culturelles, historiques ou économiques. Il y a ceux qui veulent que cela ne change pas. Et si demain la question est posée, c’est aux citoyens d’en débattre et surtout d’en décider.

Vous n’avez donc pas forcément d’avis tranché sur la question ?

Ce n’est pas très habituel de ma part, surtout moi qui ai souvent eu des décisions tranchées dans ma vie politique. Aux partisans du rattachement, je n’ai jamais dit que j’étais « pour » parce que ça ne me semble pas être une question essentielle et ce n’est pas mon combat politique. Mais dans le même temps, je n’ai jamais dit que j’étais contre, pour les raisons que je viens d’évoquer. La question doit donc être posée aux citoyens. C’est à eux de décider. Pour ma part j’ai d’autres combats dans la vie, j’en aurai d’autres à l’avenir.

Il y a justement la question des migrants qui vous tient à cœur.
Depuis le début de cette année 2021, sous l’impulsion du conseil départemental de Loire-Atlantique, 27 collectivités territoriales ont rejoint la plateforme des collectivités solidaires avec SOS Méditerranée. Il s’agit d’apporter un soutien financier aux coûteuses opérations de sauvetage des migrants en mer.

Vous évoquez un dossier extrêmement sensible. Cette question devrait alerter tous les citoyens. Quand je vois parfois qu’elle fait l’objet de commentaires politiques ou de votes contre dans les assemblées. Quand il s’agit simplement de sauver des vies, le secours en mer est inconditionnel. Même si c’est la conséquence de ce qui se passe en Méditerranée, de politiques de guerre, de conflits armés qui jettent les gens en dehors des pays et qui les obligent à traverser dans des conditions périlleuses au péril  de la vie de leur famille, c’est une question essentielle. Nous devrions tous nous mobiliser pour sauver des vies.

Et quand je vois que les États qui devraient avoir cette responsabilité de sauver des gens démissionnent ou ferment les yeux, quand sous leur regard des gens meurent, il nous appartient nous les collectivités locales, d’alerter non pas de nous substituer aux états mais en tout cas d’alerter et de secourir. En tout cas c’est le mouvement que j’ai voulu lancer. En prenant d’abord par exemplarité une décision forte, le vote d’une subvention de 500 000 euros au bénéfice de SOS Méditerranée qui n’avait plus les moyens d’affréter son navire pour secourir les gens. Et depuis, de nombreuses collectivités nous ont rejoint sur cette plateforme. Et j’appelle toutes les collectivités de France quelle que soit leur sensibilité à venir nous rejoindre dans ce combat que je défends et que je continuerai de défendre.

Pourquoi est-ce que ce drame vous touche tout particulièrement ?

Quand quelqu'un périt en mer pour ces raisons, je pense que nous sommes tous concernés. Vous savez, la Loire-Atlantique, en son temps a été le théâtre de l’un des plus grands naufrages de l’Humanité, près de 6000 morts lors du naufrage du Lancastria (NDLR : le 17 juin 1940, le paquebot transatlantique britannique qui transportait des civils et des soldats avait sombré au large de Saint-Nazaire après avoir été touché par l’aviation allemande). Nous avons été témoins nous aussi que la guerre pouvait faire périr des gens en mer. Le secours en mer n’a rien à voir avec la couleur de la peau, ni avec la nationalité. C’est un devoir collectif, humain et planétaire. Nos collectivités locales qui entretiennent des relations de solidarité internationale, doivent s’impliquer dans ce drame. D’autant plus aujourd’hui où nous voyons les images à la télévision, sur les réseaux sociaux. Personne ne peut rester insensible à ce drame humain qui peut arriver à tout le monde, parce que cela peut arriver à tout le monde, puisque ça nous est arrivé ici en Loire-Atlantique.

On se souvient, vous êtes monté au créneau après de propos d’Eric Zemmour en oct dernier au sujet des migrants mineurs, qui avaient parlé de voleurs, d’assassins, de violeurs, sur la chaîne C News. La chaîne a depuis été condamnée à payer 200 000 euros d’amende au CSA. C’était une évidence pour vous de réagir ?

Les départements ont la responsabilité de la protection de l’enfance, c’est-à-dire de se préoccuper des mineurs qui sont en danger. C’est le cas des migrants mineurs non-accompagnés qui n’ont aucun soutien sur le sol français, sauf celui des départements. C’est-à-dire que nous nous substituons à la responsabilité des enfants. Alors quand Éric Zemmour traite ces enfants de « violeurs, d’assassins, de voleurs » c’est comme s’il traitait mes propres enfants de ces termes. Et donc j’ai réagi immédiatement, comme si quelqu’un avait insulté mes propres enfants. Je crois que chacun réagirait de cette façon. Évidemment la chaîne a été condamnée, mais 200 000 euros c’est une goutte d’eau pour M. Bolloré. J’attends maintenant que M. Zemmour et la chaîne soient condamnés pénalement.

Revenons à votre fonction de président de conseil départemental que vous vous apprêtez à quitter... Quelles sont les qualités nécessaires pour occuper ce poste ?

Peut-être des qualités simples, d’humanité, de respect, de tolérance pour pouvoir animer une équipe. C’est facile en politique de diviser. Je pense qu’au contraire l’action politique consiste à rassembler le plus largement possible, dans le respect de ses propres convictions.

Que souhaitez-vous au futur président du département que ce soit Michel Ménard ou un autre candidat qui est élu d’ailleurs ?

Je lui souhaite déjà de ne pas connaître des drames comme le Covid, parce que nous sommes confrontés à un phénomène qu’évidemment nous n’avions pas anticiper, qui a bouleversé nos vies, qui a tué des milliers de nos concitoyens, qui nous a privés de nos libertés. Et puis, je lui souhaite le plus gd bonheur d’animer une équipe, de présider un département avec énormément de qualités. Nous avons ici un département que beaucoup nous envient. Je lui souhaite de travailler avec l'ensemble des habitants. La politique ne se fait pas dans un bureau mais sur le terrain comme je l'ai fait moi-même. J'ai vécu des moments passionnants au cours de mon mandat. Je souhaite le même bonheur à mon successeur.