Affaire Xavier Dupont de Ligonnès : "il commettra un jour, je pense, une erreur"

1er avril 2021 à 15h45 par Alexandrine DOUET et Julia Maz-Loumides

Agnès Dupont de Ligonnès et ses quatre enfants ont été assassinés entre le 3 et le 5 avril 2011 à Nantes. Dix ans après, l’ancien commissaire de police Jean-Marc Bloch nous parle de cette affaire. Entretien.

ALOUETTE
Jean-Marc Bloch, ancien grand patron de la PJ de Versailles est convaincu que le père de famille nan
Crédit : DR

Cela fait 10 ans que la famille Dupont de Ligonnès a été retrouvée dans sa maison à Nantes, assassinée. Le père, Xavier Dupont de Ligonnès, n’a plus été vu depuis le 15 avril 2011. Passionné par cette affaire, l'ancien commissaire de police Jean-Marie Bloch qui vit aujourd'hui à Pornic a co-présenté avec Arnaud Poivre d’Arvor l’émission « Non élucidé » sur France 2. L’un des numéros était consacré au mystère Dupont de Ligonnès. L’ex-enquêteur a aussi participé récemment au documentaire Netflix « La maison de l’horreur » qui revient sur cette sombre affaire. 

Pourquoi vous êtes-vous passionné pour l’affaire Dupont de Ligonnès/? 

D’abord, parce qu’en tant qu’ancien policier, quand on entend parler d’une affaire comme ça, on est en éveille et on cherche un peu à comprendre ce qui a pu se passer. Quand on a été enquêteur un jour, on est enquêteur un peu toujours, on continue à se "passionner" pour ce genre d’affaire. On aimerait en être chargé parce que l’enquête a quelque chose de passionnantde découvrir le secret et de découvrir la face cachée des choses, c’est extrêmement prenant. 

À partir de quel moment vous êtes-vous dit que ce n’était pas une affaire comme les autres/? 

Toutes les disparitions, c’est toujours quelque chose de très curieux. On est habitué quand on est enquêteur à travailler sur des choses concrètes, sur des choses dont on peut constater la matérialité des faits. Une disparition, on ne constate rien. C’est toujours assez étonnant et toujours assez compliqué. Toute une famille qui disparaît avec une vague explication donnée à certains membres de la famille, donnée aux écoles et donnée aux employeurs, ça paraît très curieux, très étrange et tout à fait suspect. 

Pensez-vous que Xavier Dupont de Ligonnès est toujours vivant aujourd’hui/? 

Oui/! Juste après les faits, je me suis dit que ce n’était pas possible, qu’aucun être humain ne pouvait survivre à un tel massacre, surtout quand on en est l’auteur. Ma première idée était que Xavier Dupont de Ligonnès s’était forcément suicidé. Mais quand on plonge un peu dans les faits tel qu’ils ont eu lieu et quand on plonge aussi dans la personnalité de Xavier Dupont de Ligonnès qui est quelqu’un de très égocentrique, qui estime avoir un vrai pouvoir sur les autres, je pense qu’il n’a pas fait tout ça pour se suicider. Il a fait tout ça pour "sauver sa famille" de la déchéance sociale, il s’estime être tout puissant, il estime même, et il l’a écrit quelque part, que Dieu a créé les sacrifices humains.

Ce n’est donc pas pour se suicider qu’il a fait tout ça. D’ailleurs, tout ce massacre est préparé de longue date, peut-être presque depuis le décès de son père au mois de janvier qui a précédé le massacre. Après la quintuple tuerie qui s’est fait en deux temps, il a quand même mis un peu plus de quinze jours avant de disparaître. On l’a vu circuler dans toute la France, il y a aussi des témoins qui le voit dans certains hôtels notamment. Il drague même la patronne d’un hôtel du sud de la France, il mange bien et boit pas mal d’alcool, ce n’est pas du tout le comportement de quelqu’un de suicidaire.

Et d’un seul coup à Roquebrune-sur-Argens, il disparaît. À mon avis, c’est à ce moment-là qu’il change d’identité parce que dans toute la phase qui a précédé ce quintuple meurtre, il a eu le temps de se préparerd’organiser sa fuite, d’organiser un repli quelque part, de se faire faire des faux papiers et de trouver une autre identité. Je pense que c’est à Roquebrune-sur-Argens qu’il change d’identité, qu’il change de vie et c’est là que l’on perd, bien évidemment, sa trace. 

Êtes-vous vraiment persuadé que ça s’est passé comme ça/? 

Je le suis personnellement, je ne peux pas l’affirmer parce qu’on n’a pas de preuves qu’il soit vivant, on n’a pas de preuves non plus qu’il soit mort. Je pense qu’il est plus intéressant de toute façon, judiciairement parlant, de considérer et de partir du principe qu’il est vivant, parce que si on n’a pas la preuve qu’il est mort, on doit donc supposer qu’il est vivant. Et si cet homme est vivant et en fuite depuis 10 ans maintenant, je pense qu’il serait bien de le juger par défaut criminel.

Imaginons qu’il vienne à décéder de manière accidentelle ou de maladie, quelle qu’en soit la raison, cet homme mourrait innocent et il ne pourrait jamais être jugé. Tant qu’il n’est pas jugé, il bénéficie de la présomption d’innocence, cet homme, aujourd’hui, est judiciairement et même socialement innocent. C’est ça qui est quand même un peu gênant. 

Comment organise-t-on un tel procès en l’absence de l’accusé/? 

Il est tout à fait possible d’organiser ce procès, c’est comme un procès de cour d’assises, mais en son absence, il serait représenté et défendu par un avocat. Le jugement rendu par la cour d’assises deviendrait caduc s’il venait à réapparaître, s’il venait, soit à se rendre, soit à être retrouvé par la police dans un pays ou dans un autre. Il serait toujours rejugé s’il venait à réapparaître, mais on pourrait dire dès à présent, dans un délai assez rapide, si oui ou non cet homme est innocent ou coupable des faits qui lui sont aujourd’hui reprochés. 

Aujourd’hui, on a l’impression que les enquêteurs sont un peu démobilisés. Vous confirmez/? 

Non, ils ne sont pas du tout démobilisés, loin de là. Quand on choisit de faire ce métier, on enquête à très long terme, on n’est pas du tout dans l’immédiat, on ne se lasse jamais et on ne se décourage jamais. C’est simplement, qu’aujourd’hui, il n’y a rien de particulier, il n’y a aucun nouvel élément. Les années précédentes, à chaque fois qu’on le signalait quelque part, les enquêteurs s’y sont précipités. Aujourd’hui, aussi bien le juge que les enquêteurs ne souhaitent qu’une seule chose, c’est de le retrouver et de pouvoir le juger, qu’il y ait un jugement en cour d’assises en sa présence, bien évidemment. 

Qu’avez-vous ressenti lors du dernier signalement de Xavier Dupont de Ligonnès en Ecosse en octobre 2019/? 

C’est un fait divers qui est complètement hors-norme, dès qu’il y a le moindre élément qui apparaît et qui est médiatisé, il y a un emballement. Cela me paraissait très curieux que Xavier Dupont de Ligonnès soit revenu en France se jeter, quelque part, dans la gueule du loup. Qu’il soit revenu en France dans un endroit qu’il connaît, c’est-à-dire la région de Versaillesc’était le meilleur moyen de se faire identifier et d’être reconnu, cela me paraissait extravagant qu’il ait pu faire ça. 

Comment expliquez-vous la fascination pour cette affaire, 10 ans après/? 

Les faits divers, depuis toujours, ça fascine tout le monde. Il y a plusieurs niveaux de gravité ou de curiosité. Là, on cumule un certain nombre de choses. D’abord, il y a un milieu socialc’est-à-dire la bourgeoisie catholique avec des secrets de famille. Il y a des secrets dans cette affaire et c’est toujours passionnant de découvrir la face cachée des choses. 

Il y a aussi le fait que cet homme tue toute sa famille et qu’ensuite il disparaisse. Qu’on ne le retrouve pas et que ce soit toujours une affaire non-élucidée. Il y a donc plusieurs facteurs qui fait que cette affaire est absolument exceptionnelle et qu’elle passionne les foules, tout comme l’affaire Villemin. Ces faits divers, ce sont des gens qui nous ressemblent, aussi bien les victimes que les auteurs, ce sont des gens ordinaires, qui d’un seul coup, basculent dans l’extraordinaire. Ce sont des gens quijusqu’à présent, n’étaient pas connus et que seule la mort fait connaître.

Comment expliquer que, malgré l'avancée des technologies, la police se retrouve assez désemparée dans cette affaire ?

On n’est pas dans le cinéma, on est dans la réalité. La science ne permet pas tout. La police, c’est un peu comme la médecine, ce ne sont pas des sciences exactes. La médecine soigne des corps qui sont malades, la police, une société qui est malade. Il n’y a pas de recettes miracles. On a des systèmes qui permettent de résoudre des affaires criminelles à 80%. La médecine, c’est pareil, elle soigne 90% des maladies mais il y a toujours une marge qu’on n’arrive pas à résoudre, qu’on n’arrive pas à traiter. Soit parce que les méthodes ne sont pas assez développées, soit parce que la science n’a pas encore trouvé les moyens de résoudre un certain nombre de choses.

Il y a un phénomène humain qui fait qu’il y aura toujours une marge d’incertitudes et d’approximations. Xavier Dupont de Ligonnès, il est connu, il est identifié, il y a sa photo, il y a son ADN et il y a ses empreintesC’est sûr que là où il est, il commettra un jour, je pense, une erreur qui fera que ses empreintes ou son ADN sera relevé. Et là, ce jour-là, il sera retrouvé. 

En supposant qu’il soit toujours vivant et en cavale depuis 10 ans, ça suppose une grande intelligence de sa part/? 

Il est intelligent. Xavier Dupont de Ligonnès est quelqu’un qui, certes, a raté sa vie sociale et professionnelle, mais c’est un homme intelligent. Tous ses amis de longue date le décrivent comme un homme intelligent avec une grande faculté d’adaptation. Quand il est parti faire son road-trip aux Etats-Unis, il est parti avec ses baskets et son sac à dos, il avait très peu de moyens. Il sait s’adapter dans le milieu dans lequel il se trouve. D’ailleurs, dans la région de Nantes, j’ai rencontré pas mal de gens qui l’ont connu, tous ces gens m’ont dit qu’il se fond dans le milieu dans lequel il est. Il s’adapte et il sait s’adapter. 

(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)