Procès du Mediator : début des réquisitions

23 juin 2020 à 5h20 par Arnaud Laurenti

Après des mois d'audience, interrompus pour cause d'épidémie, l'accusation commence à prendre mardi matin ses réquisitions contre les laboratoires Servier et l'Agence du médicament, jugés à Paris dans l'affaire du scandale sanitaire du Mediator. Fin du procès le 6 juillet.

ALOUETTE
Crédit : Archives

Le réquisitoire des procureures Aude Le Guilcher et Cristina Mauro, prévu pour durer une journée et demi, doit débuter à 10H00 ce mardi.

Les laboratoires Servier - la maison-mère et neuf sociétés du groupe - et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps) encourent de lourdes amendes et l'indemnisation de nombreuses victimes. Jean-Philippe Seta, ancien numéro 2 du groupe et principal prévenu parmi les personnes physiques, risque à la différence des personnes morales une peine de prison.

Plusieurs anciens responsables et experts des autorités de santé sont également poursuivis, soupçonnés de conflits d'intérêts avec les laboratoires Servier.

Scandale sanitaire

Le procès du Mediator, l'un des pires scandales sanitaires français, s'était ouvert le 23 septembre devant le tribunal correctionnel, près de dix ans après le retrait du marché de ce médicament tenu pour responsable de centaines de décès.

Mis sur le marché en 1976 comme un adjuvant au traitement du diabète mais largement détourné comme coupe-faim, il sera prescrit à environ cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation.

La question de cette longévité, alors que de premières alertes sur sa dangerosité ont été émises dès 1995, a animé les six mois de débats, souvent techniques et arides.

Dissimulation et tromperie ?

La firme pharmaceutique et l'ancien numéro 2 de Jacques Servier - le tout-puissant président et fondateur des laboratoires décédé en 2014 - sont accusés d'avoir sciemment dissimulé les propriétés anorexigènes du Mediator et sa toxicité. Ils s'en sont inlassablement défendus, évoquant des "erreurs d'appréciation" mais réfutant toute faute intentionnelle.

Ils sont poursuivis notamment pour "tromperie aggravée", "escroquerie" et "homicides et blessures involontaires".

Cette dernière infraction est également reprochée à l'Agence du médicament, jugée pour des fautes non intentionnelles pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du médicament. Son actuel directeur général a assumé à l'audience une "part de responsabilité" dans le drame sanitaire et ne sollicitera pas la relaxe.

L'Agence avait placé le Mediator sous enquête de pharmacovigilance dès 1995, du fait de ses similitudes chimiques avec deux anorexigènes du groupe Servier, l'Isoméride et le Ponderal, retirés eux du marché en 1997 en raison des graves maladies cardiaques qu'ils provoquaient.

En 1999, des médecins signalaient les premiers cas en France de valvulopathies - des atteintes des valves cardiaques - et d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une pathologie rare et mortelle, en lien avec le Mediator. Il restera encore dix ans sur le marché, en dépit de nouvelles alertes.

6 500 personnes partie civile

Le procès concerne essentiellement les faits de "tromperie aggravée", l'instruction pour "homicides et blessures involontaires" étant toujours en cours, avec en vue un second procès pénal. Le tribunal est toutefois saisi de 95 cas de victimes pour lesquelles les expertises ont conclu à une causalité entre leurs pathologies et le Mediator.

Plus de 6.500 personnes se sont constituées parties civiles au total, dont au moins 4.600 victimes "directes" et une centaine de caisses d'assurance maladie, qui ont pris en charge le remboursement du Mediator.

Au total, environ un milliard d'euros d'indemnisations ont été réclamés, ont indiqué des avocats de parties civiles.

Malades, éloignées, "désabusées" ou "désargentées", de nombreuses victimes n'ont pas assisté au procès.

Leurs avocats ont dénoncé en leurs noms "l'attitude de déni" des laboratoires Servier malgré "l'évidence" que "jamais le Mediator n'aurait dû être commercialisé", a ainsi insisté Me Jean-Christophe Coubris, qui représente 2.600 parties civiles.

D'autres avocats, revendiquant une "action vindicative" à l'encontre d'un groupe qui a commis des "fautes" par "profit", ont suggéré au tribunal de prononcer une interdiction d'exercer en France pour les laboratoires Servier.

Tous ont demandé au tribunal, qui rendra sa décision en 2021, un "jugement exemplaire".

La défense prendra la parole à partir de lundi. Fin du procès prévue le 6 juillet.

(avec AFP)