Vendée : immersion avec un fauconnier au milieu de 180 000 étourneaux

Ce mardi 25 novembre, Nicolas Noailles pose le pied sur la place Simone-Veil, en plein cœur de La Roche-sur-Yon. L’air est dense, chargé. Une odeur lourde monte immédiatement. Une voiture est complètement recouverte. Le sol, les bancs, l’horodateur : tout semble verni de fientes. Une véritable boue noire. Il avance, observe, grimace.

"Là, c’est l’horreur. Juste sur une dizaine d’arbres, on peut estimer 70 000 à 80 000 oiseaux. Je n’ai jamais vu ça ici," lance le fauconnier.

Sous les branches saturées, la scène est presque irréelle. Les Yonnais passent en apnée. Les chaussures s’enfoncent dans un mélange glissant. "Vous sentez ?" demande-t-il, en désignant le sol.

"Quand c’est comme ça, c’est loin. C’est l’accumulation. Une vraie atteinte à la salubrité publique."

La ville évoquait 50 000 oiseaux répartis sur deux dortoirs, selon Nicolas Noailles. Sur le terrain, le fauconnier en recense plus de 180 000, répartis sur sept secteurs. Et jusqu’à 41 dortoirs de report possibles dans toute la commune.

Voiture recouverte de fientes, place Simone Veil à La Roche-sur-Yon - Alouette DR 

 Horodateur, place Simone Veil à La Roche-sur-Yon - Alouette DR

L’oiseau, "choisit d’être avec moi."

Dans l’ombre du fourgon, l’oiseau l’attend déjà. Une buse de Harris, silhouette compacte, plumage sombre, harnais GPS ajusté sur le dos. Nicolas l’approche avec une douceur presque instinctive. Un mouvement de poignet, imperceptible. L’oiseau incline la tête. Le lien est visible, concret.

"Avec le rapace, on n’est pas dans la domination. On est dans le partenariat." Il passe le gant, l’observe droit dans les yeux. "Même s’il a mangé jusqu’à plus faim, il revient. Il revient parce qu’il me fait confiance."

Il pose sa main sur le harnais.

"Un rapace, si je retire un seul facteur,  la liberté de voler, la douceur dans la manipulation, il s’en va. Il choisit d’être avec moi. C’est ça, la fauconnerie."

L’opération, elle, dure trois jours : du mardi 25 au jeudi 27 novembre. L'objectif : faire partir 99 % du groupe en trois ou quatre soirées. Il ouvre le coffre, sort un pistolet à blanc, puis un casque anti-bruit.

Direction le sud Vendée et la Charente-Maritime... 

La méthode repose sur un triptyque :

• rapaces en vol,
• pyrotechnie,
• outils sonores, dont les crécelles.

"On pourrait travailler uniquement en fauconnerie. Mais il faudrait six agents et six jours. Avec les fusées, on va beaucoup plus vite. On multiplie les stimuli, on supprime le facteur sécurité."

Ici, tout est conçu pour créer une succession de dérangements, assez forte pour obliger les étourneaux à renoncer à leurs arbres. L’oiseau reviendra au poing. Le groupe, lui, devra partir. Dans la nature, un dortoir rencontre en moyenne cinq prédateurs : éperviers, chouettes, pèlerins. Ici, les buses de Harris déclenchent 20 à 30 attaques chacune.

Objectif : créer un taux de prédation artificiellement élevé, qui oblige les oiseaux à quitter la zone. Le déplacement attend ensuite un nouveau point de chute : Luçon, La Rochelle, Rochefort, Cognac…

"Ces oiseaux se poseront 50, 100, 200 kilomètres plus loin. Leur destination finale, c’est l’Espagne. À Madrid, en janvier, vous avez 3 à 4 millions d’étourneaux."

"À Limoges, un quart des arbres sont morts"

Reste la question sanitaire. Les fientes se décomposent rapidement, fermentent, libèrent des composés irritants.

"Vous imaginez le nombre de pathogènes ? Bactéries, levures, virus… Et en ce moment, la grippe aviaire circule partout en France."

Chaque étourneau produit 10 à 15 g de fientes par nuit.Sur plusieurs dizaines de milliers d’oiseaux, la quantité devient monstrueuse. Et au-delà de la salubrité publique, les arbres eux-mêmes souffrent.

"À Limoges, on a une place où un quart des arbres sont morts. L’acidité de la fiente les a rendus malades, ça a laissé entrer un champignon."

Pour Nicolas, l’intervention du fauconnier n’est plus une option : "Si les gens veulent les laisser tranquilles, pas de souci. Mais qu’ils viennent ramasser les 100 kilos de fientes chaque jour. Tant qu’ils ne le feront pas, la collectivité doit intervenir," conclu le fauconnier.