La seconde vie inattendue de vos coquilles d’huîtres

La porte grince quand Alexandre Didelon l’ouvre. Au fond du site, l’ancienne fonderie porte encore les traces des années. "On s’est vraiment battu pour avoir ce site", confie le directeur général d’Alegina. Le bâtiment était abandonné depuis dix ans au Poiré-sur-Vie (Vendée), pollué au plomb et à l’amiante. Deux ans de dépollution ont été nécessaires pour reprendre possession des lieux. Une partie extérieure reste à traiter, mais l’intérieur tourne déjà à plein régime. Derrière le bâtiment, des montagnes de coquilles d’huîtres. Des tas blancs, deux fois plus hauts qu’un homme.

"L’année dernière, on a passé un peu plus de 3 000 tonnes de coquilles."

Au sol, un déchet frappe à l’œil. Large, rosé. "Les coquilles Saint-Jacques, parce qu’on en a récupéré un lot", souffle Alexandre Didelon. L’entreprise commence à tester leur transformation, au même titre que les moules, les ormeaux ou d’autres coquillages.

L'entreprise Alegina - Alouette DR

"Nous, avec une coquille d’huître, on fait tout"

La visite continue dans le bruit des broyeurs. La coquille arrive sale, humide, couverte de vase. Elle sort sèche, lavée, réduite en paillettes ou en poudre. "Nous, avec une coquille d’huître, on fait tout depuis sa collecte jusqu’à la fabrication des produits", raconte Alexandre Didelon.

Le recyclage s’étend dans toutes les directions :

• Pavés pour parkings, voies pompier, trottoirs, parvis ;
• Porcelaine très blanche, vendue à des chefs étoilés ou maisons de luxe ;
• Toitures végétalisées ;
• Mobilier urbain ou intérieur.

"Aujourd’hui, on met plutôt en avant la partie pavé", admet-il. Ce choix n’est pas anodin : un pavé consomme bien plus de coquilles qu’une assiette. Et le gisement est colossal.

Ces coquilles arrivent de toute la façade atlantique : Normandie, Bretagne, Loire-Atlantique, Vendée, Charente-Maritime, Gironde.

L'entreprise Alegina - Alouette DR

 "Les gens marcheront sur les pavés des huîtres qu’ils ont consommées"

Ses pavés laissent passer l’eau. Cette perméabilité guide une partie du projet : lutter contre l’imperméabilisation des sols. Et rester local.

"Par exemple, quand on parle des pavés, si on collecte des coquilles en Vendée et qu’on refabrique, par exemple, un futur port, c’est ce qu’on va faire bientôt à Talmont-Saint-Hilaire en Vendée… on n’a pas jeté un déchet. On a revalorisé, on a réemployé sur site ce déchet."

Alexandre Didelon sourit. Pour lui, le sens est là : transformer un déchet local en infrastructure locale. Une boucle parfaite. "Les gens marcheront sur les pavés des huîtres qu’ils ont consommées trois ans auparavant", glisse-t-il en montrant un bloc de pavés au sol.

Les pavés de l'entreprise Alegina - Alouette DR

À l’approche des fêtes, les coquilles affluent. Alegina récupère celles déposées en déchetterie, Vendée Grand Littoral, Aizenay, Challans, mais aussi celles collectées par certaines communes. Mouilleron-le-Captif testera même un dispositif entre Noël et le 1ᵉʳ janvier. Pourtant, ce pic reste marginal. "À la période de Noël, oui, on en reçoit beaucoup plus… mais ça représente un tout petit volume pour nous par rapport au gisement des ostréiculteurs", explique Alexandre Didelon.

Car l’essentiel du travail se joue loin des repas de fête : sur les chantiers ostréicoles de la façade atlantique, où les coquilles mortes s’empilent toute l’année. Alegina travaille "principalement avec les ostréiculteurs". La raison est simple : sur cent huîtres élevées, trente à quarante meurent durant la production. Ce sont ces coquilles mortes qu’il récupère en masse.

L'entreprise prévoit d’ouvrir deux autres usines 

Dans cette usine encore en reconstruction, chaque machine a été bricolée maison. D’anciennes machines agricoles, des broyeurs de carrière, des pièces de pharmacie… rien n’est standard. "La machine n’existe pas telle quelle sur le marché", affirme-t-il. L’objectif : doubler puis tripler la capacité. Jusqu’à 40 000 tonnes par an, une fois le site totalement opérationnel en 2026.

En attendant, le chantier se poursuit, entre poussière de nacre, béton frais et idées nouvelles. Moules, saint-Jacques, huîtres… Alegina veut désormais valoriser tous les coquillages. Une écologie artisanale, locale et vendéenne. À terme, l'entreprise prévoit également d’ouvrir deux autres usines : l’une sur le bassin normand, l’autre entre Bordeaux et Montpellier, au plus près des zones ostréicoles.