Anne Richard, réalisatrice : "Je crois que je voulais savoir s’il pouvait y avoir une fin à l’affaire du Mediator"
Publié : 26 avril 2021 à 8h46 par Marie PIRIOU
Le retour de l’affaire du Mediator, du nom de ce coupe-faim qui a fait de nombreuses victimes en France. Irène Frachon, la pneumologue brestoise, lanceuse d’alerte, sera ce lundi soir au cœur d’un documentaire réalisé par Anne Richard qui a suivi son combat. Nous nous sommes entretenus avec la journaliste et réalisatrice.
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Un documentaire sera diffusé ce lundi soir sur France 3 Bretagne. "Irène Frachon, Droit au cœur", réalisé par Anne Richard, évoque le combat d’Irène Frachon. La journaliste et réalisatrice a suivi le combat de la pneumologue brestoise depuis le début de l’affaire du Mediator, du nom de ce coupe-faim qui a fait de nombreuses victimes en France. Rappelons que les laboratoires Servier ont été condamnés à verser 180 millions d’euros aux victimes. L’ex-numéro 2 du groupe Jean-Philippe Seta avait écopé de 4 ans de prison avec sursis mais il a fait appel. Irène Frachon espère des condamnations plus sévères.
Nous avons rencontré la journaliste et réalisatrice Anne Richard.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre nouveau documentaire "Irène Frachon, droit au cœur" sur l’affaire du Mediator ?
Ce nouveau documentaire, c’est l’histoire d’Irène Frachon, lanceuse d’alerte, puis porteuse d’alerte au milieu d’un procès, que je considère historique, qui arrive au bout de dix ans d’instruction et d’enquête. Un procès pénal qui doit permettre de savoir si oui ou non, les laboratoires Servier et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sont coupables.
Pourquoi avoir choisi de réaliser ce nouveau documentaire et de suivre pas à pas Irène Frachon dans son combat ?
Je crois que je voulais savoir s’il pouvait y avoir une fin à l’affaire du Mediator. Si ça pouvait être un exemple pour d’autres. Si la justice allait apporter cette fin. Et peut-être que, naïvement et secrètement, j’attendais aussi une fin pour savoir si Irène pourrait lâcher et être un peu apaisée par rapport à toute cette histoire. En réalisant ce documentaire dix ans après, je me rends compte que non, il n’y a pas de fin. Il y a une lutte continue, un combat qui n’est pas prêt de se clore.
Ce nouveau documentaire est-il vraiment différent de votre précédent documentaire ?
Oui, totalement. Il est totalement différent. Il y a dix ans, à l’époque, j’étais journaliste et je me suis retrouvée dans cette affaire qui est devenue un scandale médiatique. Je ne savais pas si ça allait faire "pschitt" ou pas. J’étais avec plusieurs personnages, à l’époque. Irène n’était pas du tout le personnage central parce qu’elle refusait d’être traitée comme une héroïne. Dix ans plus tard, elle est devenue la lanceuse d’alerte la plus connue de notre pays et elle est au cœur de ce procès. Je la connais bien, je me suis mise dans ses pas jusque dans son côté intime, et donc forcément, de ma place de réalisatrice à ses côtés dans son intimité, je ne porte plus du tout le même regard sur cette affaire.
Votre première rencontre en 2010 avec Irène Frachon a-t-elle été déterminante pour vous ? Vous avez tout de suite été séduite par sa soif de justice ?
Je ne savais pas à l’époque que c’était une soif de justice. Je me demandais qui était cette femme (rires). Parce que je venais la rencontrer pour tout autre chose, je menais une enquête sur les essais cliniques et je m’excusais même un peu de lui demander de l’aide parce que je me disais qu’elle avait d’autres choses à faire. C’était à l’époque de la sortie de son livre dont le sous-titre venait de se faire censurer. Et puis, quand elle a commencé à me raconter son histoire, je me suis dit : "Mais c’est dingue ! Il n’y a pas quelqu’un pour documenter vos pas, pour faire quelque chose ?". Et tout de suite, elle m’a dit "Si vous voulez, la place est libre, venez !". Donc oui, j’ai été séduite par le fait que je sentais un engagement très fort, je sentais une volonté d’en découdre. Je ne savais pas du tout, à l’époque, où ça allait nous mener.
Comment décririez-vous Irène Frachon ?
Pour moi, Irène est une personne évidemment engagée, tenace et d’une persévérance à toute épreuve. C’est quelqu’un qui a foi en l’engagement, qui a foi dans le long cours et qui a foi dans un combat qui peut durer longtemps.
Depuis tout ce temps, vous entretenez vraiment un rapport de confiance toutes les deux ?
Oui, c’est un rapport de confiance qui m’a été donné, de manière assez incroyable, dès le début, dès ce premier café. Et que nous entretenons toutes les deux depuis très longtemps maintenant. Cela ne veut pas dire que je suis en adoration vis-à-vis d’Irène Frachon, cela veut juste dire qu’on se respecte l’une et l’autre. Nous sommes en totale transparence sur ce que nous faisons. C’est extrêmement précieux et cela arrive très rarement d’être dans un tel rapport de confiance. Si elle est autant en confiance avec moi, c’est qu’elle savait que je documentais aussi et qu’il y avait un besoin de documenter ce moment très précis du procès.
Comment s’est déroulé le tournage et quels sont notamment les temps forts de ce nouveau documentaire ?
Le tournage a été en continu. J’avais évidemment beaucoup tourné en 2010, j’ai continué à tourner ensuite après mon premier documentaire ("L’Affaire Mediator"). Comme la justice mettait du temps, j’ai dû poser la caméra, puis je l’ai reprise en mars 2019. Depuis juillet 2019, j’étais pratiquement en continu. Ce n’est pas simple parce que j’ai dû me mettre moi-même à l’image. Parce que suivre 517 heures de procès, c’est juste impossible à l’échelle d’une petite production. Les temps forts ce sont aussi ces moments où on a l’impression que les choses avancent. C’est aussi, forcément, l’audition d’Irène qui a été un grand temps fort du procès. Ensuite, le réquisitoire, les parties civiles… C’était très impressionnant !
Le tournage a-t-il été intense pour vous, émotionnellement parlant, par moments ?
Oui, le tournage a été intense parce qu’il faut être sur la longueur, il faut durer. Le tournage n’est pas totalement complet parce qu’on ne peut pas encore filmer les audiences. C’est aussi intense parce que, connaissant l’affaire depuis dix ans, connaissant certaines victimes, quand on revient en audience, il y a cette espèce de décalage entre ce que vivent les victimes, qui attendent une reconnaissance, et puis ce retour en audience où tout paraît très long et très technique, ce temps-là qui est nécessaire pour que la justice advienne. Et ça, ça m’a interrogé et ça continue de m’interroger parce que je trouve que ce temps-là n’est pas en adéquation avec le temps d’une vie humaine. Et forcément, quand j’ai appris que Céférina Cordoba (victime du Mediator) était décédée, on revient avec une envie encore plus forte de documenter le procès quand on revient en audience.
Allez-vous continuer de suivre Irène Frachon jusqu’à la fin du procès en appel ? Y aura-t-il un autre documentaire à la fin de cette affaire ?
Pour le moment, je ne sais pas quand est-ce que ce procès arrivera. Je ne sais pas si un film serait à nouveau utile sur ce nouveau procès. En revanche, si le ministère de la Justice m’autorise à filmer les débats, si toutes les parties en sont d’accord, bien sûr que j’y serai et j’y serai avec ma caméra.
(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)
Le documentaire est à voir ce lundi 26 avril sur France 3 Bretagne à 22h50. Il sera également diffusé sur France 3 le 29 avril à 22h30, et sur Tébéo, Tébésud et TV Rennes le 6 mai, à 21h.