Vendanges : "C'est la plus petite récolte de ma carrière"
9 septembre 2021 à 10h54 par Morgan Juvin
Dans le Pays Nantais, les vendanges commencent la semaine prochaine pour le Muscadet. Des vendanges "compliquées" : les viticulteurs doivent faire face à une pénurie de main d’œuvre et une chute des récoltes. Entretien avec Christian Gauthier, viticulteur à Saint-Hilaire-de-Clisson et président de la Fédération des Vins de Nantes.
Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a sorti un chiffre mardi, moins 29% par rapport à 2020 et même moins 25% par rapport à la moyenne de ces dernières années. Est-ce que c’est quelque chose que vous constatez ou que vous allez constater ces prochains jours dans le vignoble du Pays nantais ?
Tout d’abord, il faut savoir que ce sont des chiffres sur un rendement national. Le vignoble de Nantes, comme l’ensemble des vignobles de Loire, a beaucoup plus souffert du gel. Surtout le vignoble nantais, parce que le cépage melon de Bourgogne qui produit le muscadet est très précoce et très sensible au gel.
Nous, on estime plutôt une perte de 75 à 80%. C’est énorme ! On estime faire un quart de récolte, c’est-à-dire 100 à 110 000 hectolitres de muscadet peut-être. Maintenant, il faut attendre vraiment le début pour être sûr, mais oui, on est très impactés.
C’est vraiment ça la tendance ? Il suffit de regarder les grappes sur les ceps ?
Voilà, bien sûr. Et puis, on a commencé les prélèvements, on a des parcelles témoins qui sont suivies tous les ans pour voir l’évolution de la maturité. Et à partir de là, on voit bien la situation.
L'impact sur la qualité du raisin :
Au point de vue qualitatif, que reste-t-il des raisins ?
Le gel n’entame pas la qualité. Les raisins présents sont beaux et sains. Il y a eu une pression maladie en juillet à cause du mauvais temps. Il y a eu de la pluviométrie un peu tous les jours au mois de juillet, ce qui a fait une pression maladie, c’est-à-dire qu’il faut être en veille permanente pour anticiper une attaque forte de mildiou. On était tout le temps en permanence dans les vignes à regarder l’évolution des maladies et on pouvait intervenir, soigner les vignes, quand elles commençaient à être malades.
A priori, la qualité est au rendez-vous malgré tout ?
La qualité va être au rendez-vous parce que les gars étaient très professionnels et ont bien surveillé.
Les projections économiques :
Il y a la qualité d’un côté et la quantité de l’autre. Vers quoi se dirige-t-on sur un plan économique ? Est-ce que ça va être une année compliquée ?
Ça va être une année très compliquée. La seule chose qui va permettre à un bon nombre d’exploitations de tenir le coup, c’est le stock. Parce qu’on sort d’une récolte 2020 qui a été généreuse, on a un bon millésime en stock. L’effet Covid a fait, malheureusement, qu’on a un peu plus de stock que d’habitude. Un stock de qualité auquel il faut rajouter un quart de récolte. On doit aller pratiquement à la récolte 2022 avec ces volumes-là.
Ça veut dire que là, il n’y a pas de projection pour 2023 en l’occurrence ?
Non, on ne peut pas du tout se projeter. La récolte 2022 sera déterminante pour l’avenir du vignoble, comme d’autres vignobles d’ailleurs, il nous faut absolument une récolte dans la bonne moyenne en 2022.
Le manque de main-d'oeuvre :
Vous manquez également de personnel. Ça, c’est quelque chose que vous constatez cruellement dans les vignobles ?
Oui, bien sûr. Cette année, c’est un petit peu différent, les exploitants vont travailler avec le personnel qu’il y a en place sur les exploitations parce qu’on va avoir un peu moins de travail malgré tout. Les exploitants qui décident de vendanger manuellement cette année, par le petit volume à récolter, vont être pénalisés. On va trouver difficilement du personnel. Il existe des groupements d’employeurs qui proposent des équipes de vendangeurs, sachant que ce sont eux qui gèrent le planning, ça peut être intéressant pour une année comme celle-ci.
Quelles peuvent être les conséquences s’il n’y a pas assez de monde dans les vignes pour récolter ?
La conséquence la plus dramatique, c’est de ne pas ramasser le raisin au bon moment. S’il est trop mûr et qu’il s’abîme, qualitativement, ce n’est pas bon. Donc, il faut vraiment faire attention à vendanger au bon moment. C’est pour ça que ceux qui sont équipés de machines, même s’il n’y a pas grand-chose dans les vignes, je pense que les machines vont sortir de façon à récolter au bon moment et de manière à aller plus vite aussi.
La pénurie des saisonniers :
C’est vraiment compliqué de trouver des saisonniers pour les vendanges ?
Alors, il y a plusieurs phénomènes. Déjà, on n’est plus tard dans la saison que certaines années. Les étudiants ont repris les études, donc, on ne trouve pas de jeunes en cette période de l’année. Surtout que là, on ne va commencer que le 15 septembre. Et puis, ce n’est plus dans l’air du temps d’aller faire une saison, on délaisse un peu ces métiers de récolte. Il n’y a plus cette volonté de découvrir une cueillette, que ce soit fruits, légumes et vendanges, c’était pourtant des bons moments, voilà, il n’y a plus cette envie.
Va-t-il falloir imaginer les choses autrement pour les années à venir ?
Oui, c’est sûr. Quand on parle de groupements d’employeurs, c’est de la main-d’œuvre étrangère. Il faut les loger, certains s’organisent et font des transports groupés, c’est tout une organisation.
Finalement, c’est une vendange qui est compliquée ?
C’est une vendange très compliquée ! Pour moi qui vendange depuis plus de 35 ans, ça va être la plus petite récolte de ma carrière de vigneron. Franchement, ça fait très peur. Parce qu’on a de plus en plus d’aléas climatiques, c’est plus un dérèglement qu’un réchauffement, on n’a pas eu d’été. Il n’y a plus vraiment de saisons, et puis, on est toujours à l’attente d’une catastrophe, et ça, c’est pénible, ça pèse sur le moral et ça pèse sur l’organisation du travail. Et forcément, ça pèse sur le résultat à la récolte.
(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)