Sophie Auconie : "La relation à certains hommes politiques est extrêmement compliquée"

8 mars 2021 à 6h00 par Bastien Bougeard

À l’occasion de la journée internationale des Droits des femmes, nous avons échangé avec Sophie Auconie, ancienne députée d’Indre-et-Loire. Elle a été membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes.

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Crédit : B.Bougeard | Alouette

Après quatre ans passés sur les bancs de l’Assemblée nationale, Sophie Auconie, députée de la 3e circonscription d’Indre-et-Loire, se retire pour raisons de santé. Elle quitte temporairement un monde politique où les femmes peinent encore à trouver leur place. Elle a écrit un livre qui doit paraître prochainement à ce sujet. Elle témoigne de ces difficultés. 

Avez-vous constaté un changement s’opérer vis-à-vis de vous, en tant que femme, durant vos 12 années de politique ?

Non, il n’y a pas une très grande évolution. L’évolution, elle est culturelle, c’est une évolution des mentalités, un changement des mentalités. C’est vraiment quelque chose qui va se faire tout doucement malheureusement, je le regrette et je ne suis pas certaine que la génération future fasse évoluer plus que ça les choses. 

Quand je vois les représentations des jeunes dans mon parti politique, il y a beaucoup de jeunes hommes et très peu de jeunes femmes. Quand je vois la présence des hommes dans un certain nombre de communautés politiques, professionnelles, associatives, etc. Je vois beaucoup de jeunes hommes dans les exécutifs et assez peu de jeunes femmes. Donc, je me dis que tout ça va être difficile à faire changer et je n’ai pas senti à titre personnel beaucoup d’évolution. 

Ici, en Indre-et-Loire, actuellement, dans les investitures de candidats ou candidates aux élections, je vois bien qu’on fait subir à des femmes des injustices qu’on ne se permettrait pas de faire subir à des hommes. Par exemple : les pressions qu’on fait subir à des femmes et que j’ai moi-même subi évidemment. C’est une façon très rétrograde de faire de la politique à l’heure où les citoyens demandent autre chose que ce comportement assez machiste.

Quelles sont justement les pressions subies par les femmes en politique ?

Ce sont des injures, des gestes sexistes, mais c’est aussi beaucoup plus pervers que ça, c’est : on nous extrait d’une photo, des journalistes qui nous font des commentaires sur nos toilettes et sur nos tenues… Je suis sidérée ! Il y a aussi toute cette communauté masculine qui œuvre pour extraire de l’échiquier politique local celle qui pourrait représenter une forme de concurrence. 

Je pense que ce n’est pas la bonne méthode et qu’il y a besoin de toutes les énergies dans une complémentarité qui permet de gagner. C’est une manière de regarder la politique façon ancien monde et ça je le regrette vraiment, et la Touraine en pâtit encore aujourd’hui.

Quand vous étiez au Parlement européen, il paraît que vous étiez redoutée, vous confirmez ?

Oui, c’est ça. C’est-à-dire que quand j’ai été élue députée européenne, j’ai été élue sur une liste parce qu’en numéro deux, il fallait une femme, donc, j’ai été désignée en numéro deux sur cette liste d’abord parce que j’étais une femme. Ensuite, j’étais trilingue, j’avais des notions d’un certain nombre de mesures européennes parce que j’avais travaillé au développement économique avec les fonds européens, donc, j’avais un certain nombre de connaissances européennes. Ce sont des choses qui avaient participé à cette désignation, mais c’était d’abord parce que j’étais une femme, ce qui fait que quand je suis arrivée au Parlement européen, je n’étais pas considérée comme une députée européenne, j’étais un quota. 

Et puis, j’ai démontré que non seulement, j’étais légitime, mais qu’en plus je m’engageais, à la fois au Parlement européen, mais aussi dans ma présence sur la Touraine. Et donc, de quota, je suis devenue redoutée et ma vie est devenue largement aussi difficile parce que l’objectif était d’essayer de me faire trébucher un peu, par crainte que j’ai des ambitions politiques dévorantes, alors qu’en réalité, je voulais juste démontrer ma légitimité et faire correctement ce mandat pour lequel les citoyens m’avaient fait confiance.

Vous avez demandé l’avis de votre famille avant de rejoindre le Parlement européen, votre mère et votre belle-mère étaient contre, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

J’ai demandé l’avis aux 10 membres de ma famille et sur ces 10 membres de ma famille, seules les deux femmes, ma mère et ma belle-mère ont émis un avis défavorable, pas pour les mêmes raisons. Ma mère craignait qu’il m’arrive ce qu’il m’arrive en ce moment, c’est-à-dire une pression telle que je finisse par user ma santé, elle craignait que je souffre dans ce monde politique très machiste. Ma belle-mère, quant à elle, craignait que son fils soit mis entre parenthèses et qu’il ait à s’occuper des tâches ménagères, considérant que ce n’était pas du tout le rôle d’un homme. C’était donc assez drôle de voir cette expression féminine. Mon mari et moi avons réussi à les convaincre, mais ça n’a pas été si simple et ça nous a paru vraiment très surprenant, et en même temps, c’est une réalité tout ça.

Vous avez écrit un livre qui va bientôt sortir, au nom des mère, des filles et des sains d’esprits, est-ce pour encourager les femmes à s’engager en politique ?

Les hommes considèrent que la politique est le dernier terrain d’opération militaire, ce qui est vrai parce que quand vous regardez la sémantique du monde politique, c’est très guerrier. Les élections sont souvent des combats, nous avons des adversaires, des opposants, et la sémantique est très guerrière. Les hommes considèrent que c’est encore un milieu très masculin et que les femmes n’ont rien à y faire. C’est assez souffrant pour la femme, la relation à certains hommes politiques est extrêmement compliquée et assez souffrante pour certaines femmes. 

Je pense que c’est regrettable parce que si nous avions tous le sens de l’intérêt commun, nous mesurerions combien ensemble dans une parfaite complémentarité, nous arriverions à faire beaucoup mieux. Particulièrement en Touraine où de nombreuses choses se feraient beaucoup mieux et beaucoup plus vite si nous étions tous ensemble autour d’une table à œuvrer dans le même sens. Beaucoup de femmes politiques ont abandonné parce qu’elles ont subi cette espèce de pression machiste et sexiste, et je trouve ça très regrettable parce que je suis certaine que, compte tenu de leur talent, elles auraient apporté une vraie valeur ajoutée à un monde politique qui aujourd’hui est quelque peu en miettes, c’est le moins qu’on puisse dire.

Les élections régionales approchent et très peu de femmes sont représentées, qu’est-ce qui bloque selon vous ?

Les hommes considèrent que la femme n’a pas sa place dans le monde politique, même si la loi impose certaines parités, on a quand même beaucoup de mal à exister lorsque ça n’est pas une obligation. Un certain nombre de femmes impliquées dans la vie politique du département méritent d’être assistées, soutenues, écoutées, incitées et accompagnées, ce qui n’est pas toujours le cas, c’est regrettable, elles sont une valeur ajoutée pour nos territoires et ne sont pas reconnues comme telle parce qu’elles sont femmes.

(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)